Un fonds arborant le label ISR ne sélectionne pas toujours ses actifs avec la même rigueur qu’un fonds qui revendique une approche ESG stricte. Les textes européens, à l’image du SFDR, imposent des contraintes différentes selon la méthode retenue. Résultat : le paysage reste morcelé, chaque acteur financier interprétant les règles à sa façon.
Des entreprises présentes dans des portefeuilles responsables continuent à évoluer dans des secteurs sensibles. Les écarts de notation extra-financière et l’absence d’un référentiel partagé compliquent le travail de ceux qui veulent conjuguer performance et engagement sociétal.
Comprendre les notions d’ESG et d’ISR : définitions et origines
La finance durable s’appuie sur un langage précis, où chaque sigle représente une démarche singulière. ESG correspond à un cadre d’évaluation extra-financier, structuré autour de trois axes : environnement, social et gouvernance. Ces critères servent à jauger la capacité d’une société à limiter son empreinte écologique, à respecter ses parties prenantes et à gérer de manière responsable.
L’Investissement Socialement Responsable (ISR) va plus loin : il s’agit d’une stratégie d’investissement qui s’appuie sur l’intégration de ces critères ESG. L’ISR permet de sélectionner ou d’écarter certains secteurs, voire de privilégier des entreprises considérées comme exemplaires sur le plan environnemental, social ou de gouvernance. Plus qu’une note, l’ISR engage l’investisseur dans une sélection réfléchie, traçable, parfois engagée.
La genèse de ces concepts remonte à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) à la fin des années 1990, qui a encouragé les sociétés à intégrer des préoccupations sociales et environnementales à leur stratégie. L’ESG a ensuite structuré cette démarche, offrant des repères concrets pour comparer les entreprises. L’ISR, de son côté, a traduit ces enjeux dans la gestion d’actifs. Enfin, l’ESS (économie sociale et solidaire) a élargi la palette, en misant sur l’intérêt collectif et la réutilisation des bénéfices.
Pour clarifier les différents concepts, voici leurs rôles respectifs :
- ESG : repère pour mesurer les impacts extra-financiers (environnement, social, gouvernance)
- ISR : démarche d’investissement qui mise sur l’intégration des critères ESG
- RSE : choix volontaires des entreprises pour intégrer des enjeux sociaux, environnementaux et économiques
- ESS : logique d’intérêt collectif et de réinvestissement
Quels critères distinguent l’ESG de l’ISR dans l’investissement responsable ?
Les critères ESG constituent une grille d’analyse extra-financière, utilisée pour évaluer la façon dont une entreprise gère ses émissions de CO2, sa politique sociale, ou la diversité de son conseil d’administration. L’ESG sert donc de socle commun pour comparer la transparence et la responsabilité des sociétés cotées.
L’investissement socialement responsable (ISR) franchit une étape supplémentaire : il ne se contente pas d’analyser, il choisit. Sélectionner un fonds ISR, c’est opter pour un portefeuille d’entreprises notées selon leur performance ESG, avec des méthodes qui peuvent passer par l’exclusion de secteurs (charbon, tabac), la sélection des meilleurs élèves (« Best in Class »), l’engagement actionnarial ou encore des thématiques comme le climat ou l’inclusion.
Voici comment se distinguent ces deux approches :
- L’ESG : cadre d’évaluation applicable à toutes les entreprises, sans a priori
- L’ISR : sélection d’actifs afin de construire des portefeuilles en phase avec des ambitions de durabilité
L’ISR s’appuie sur l’ESG pour piloter les investissements, mais il prend position en privilégiant certains choix. Certaines stratégies visent même à mesurer un impact concret, à l’image de l’investissement à impact. La différence fondamentale réside alors dans la volonté d’aller au-delà du simple constat : changer la donne, pas seulement la mesurer.
Panorama des méthodologies et labels pour évaluer la durabilité
L’univers de la finance durable s’organise autour de quelques repères structurants, malgré la multiplication des standards et labels. Le label ISR, créé par le ministère de l’Économie et des Finances en 2016, compte parmi les références en France. Il certifie que les fonds d’investissement sélectionnent systématiquement leurs actifs selon les critères ESG. Ce label repose sur la transparence, l’engagement actionnarial et l’exigence d’un impact concret dans la sélection des entreprises.
Pour les investissements dédiés à la transition énergétique, le label Greenfin valorise les fonds qui excluent les énergies fossiles et le nucléaire, et privilégient les activités à impact environnemental positif. De son côté, le label Finansol distingue les produits solidaires, garantissant que l’épargne finance des projets à utilité sociale ou écologique.
Les sociétés de gestion s’appuient sur des méthodes d’évaluation pointues, conçues par des agences indépendantes comme MSCI ou Morningstar. Ces organismes attribuent des scores ESG selon des référentiels internationaux tels que la Global Reporting Initiative (GRI), la norme ISO 26000 ou les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) des Nations Unies.
La réglementation française encadre désormais ce foisonnement de labels. L’Autorité des marchés financiers (AMF) exige davantage de clarté sur la communication des fonds responsables. La loi Pacte impose aux contrats d’assurance-vie de proposer au moins un fonds labellisé ISR. Grâce à ces dynamiques, l’Europe concentre aujourd’hui la majeure partie des encours mondiaux en fonds durables, la France pesant plus de 815 milliards d’euros investis sous label ISR.
Investir durablement : quels impacts concrets pour les investisseurs et la société ?
L’essor de l’investissement responsable transforme la gestion d’actifs. Les investisseurs ne se focalisent plus uniquement sur la rentabilité financière ; ils attendent un impact social et environnemental mesurable. Cette évolution se traduit par la progression rapide des fonds labellisés ISR en France, qui dépassent aujourd’hui les 815 milliards d’euros, ainsi que par le développement des obligations vertes dédiées au financement de projets écologiques tangibles.
En sélectionnant les entreprises selon des critères ESG, on favorise celles qui réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre, s’engagent pour les droits humains et mettent en avant la transparence. Ce tri crée un effet d’entraînement sur l’économie : les sociétés cotées voient leur accès au capital conditionné par la qualité de leur démarche extra-financière. Philippe Kunter, directeur du développement durable chez Bpifrance, constate que cette pression actionnariale accélère la transformation des modèles d’affaires.
Pour l’investisseur, la possibilité d’une résilience accrue sur le long terme prend forme. De nombreuses études montrent que les fonds ISR traversent mieux les périodes de turbulence et affichent une volatilité maîtrisée. Mais le greenwashing n’a pas disparu pour autant : la chercheuse Patricia Crifo rappelle que la qualité des informations extra-financières varie selon les référentiels. Certains indices ESG ont pu exclure Tesla tout en maintenant ExxonMobil, illustrant les limites et les paradoxes du système. Face à ces enjeux, la vigilance sur la gouvernance et la sincérité des entreprises notées reste le meilleur garde-fou pour que l’engagement collectif garde tout son sens.
La finance responsable ne suit pas une trajectoire linéaire. Elle évolue sous nos yeux, bousculant les équilibres et posant des questions inédites. Reste à savoir si chaque euro investi deviendra vraiment un levier de transformation, ou seulement un indicateur de bonne conscience.


